KANIKÔSEN

 

a Hiroyuki Tanaka film
Screenplay: Takiji Kobayashi & Hiroyuki Tanaka
Cast: Ryuhei Matsuda, Shun Sugata, Ren Ôsugi, Hidetoshi Nishijima, Kengo Kora, Mitsuki Tanimura,
Shungiku Uchida, Hirofumi Arai, Toru Tezuka, Yasuhi Nakamura, Masaki Miura, Ken'ichi Yajima, Gô
Rijû, Hiroshi Yamamoto, Leo Morimoto, Tokio Emoto, Kenichi Takito, Okunuki Kaoru
Running time: 109 min.
Contries : Japon

L'avis du BIFFF :

Le capitalisme, c’est l’exploitation de l’homme par l’homme. Le communisme, c’est l’inverse. Illustration parfaite de cet aphorisme savoureux, ce chalutier (du Japon, mais Empire) croisant dans les eaux froides du Kamchatka pour la pêche au crabe. À son bord, des ouvriers exténués qui tuent le peu de temps qu’ils ont (à défaut de tuer le patron) en planifiant un suicide collectif ; car la réincarnation est la seule forme possible de promotion au sein d’une idéologie qui fleure bon le marteau et l’encule. À moins que leurs concurrents cosaques ne leur apprennent les joies de la grève sauvage. D’ailleurs, on n’arrête pas de le répéter : travailleurs, travailleuses, on vous spolie !

Tiré du pamphlet agitprop de Takiji Kobayashi publié en 1929 (ce qui lui a d’ailleurs valu la peine de mort), le Kanikosen de Sabu est une charge réactualisée contre les idéologies extrêmes et manichéennes (paradis ou enfer / prolétaire ou bourgeois). Les affinités de Sabu avec la veine cyberpunk et ses fréquentes collaborations avec des monstres tels que Takashi Miike (dans Ichi the killer entre autres) ou Kiyochi Kurosawa ont contribué à forger sa patte iconoclaste, qui n’est pas sans rappeler les grandes heures de Fritz Lang avec son Metropolis.

MON HUMBLE AVIS :

Notre société libérale actuelle sclérose désormais toutes les formes de contestation, de rébellion, voire même simplement de conflits d’opinions.
Nous vivons à l’ère de la pensée unique, sous la dictature d’un libéralisme tout puissant contre lequel chacun de nous se sent bien impuissant… nous acceptons notre sort, et la société dans laquelle nous vivons, avec le sentiment de ne rien pouvoir y changer de toute façon.
Avec « Kanikosen » le réalisateur veut nous rappeler que la révolte est possible, nécessaire, et urgente !
Son scénario s’applique donc à nous décrire une situation de départ imaginaire, pour atteindre une sorte d’universalité du débat : on suit des travailleurs d’une usine, une sorte de conserverie de crabe installée directement sur le bateau de pêche, en pleine mer, qui sont exploités comme des esclaves par leurs marins de patrons.
Même l’idée du suicide collectif vire au ridicule avec le tangage du bateau et les caisses qui reviennent juste à temps sous les pendus pour interrompre leur agonie.
Par la suite, l’histoire n’est qu’un prétexte pour bâtir une véritable leçon de politique, toutes les étapes justifiant et menant à la révolution prolétarienne nous sont illustrées avec didactisme et pédagogie.
Si l’humour de la première moitié du film nous évite l’écueil d’un drame trop sérieux, cet aspect sympathique s’évanouit bizarrement lorsque les 2 anti-héros décident de s’improviser leaders du mouvement quitte à mourir en martyrs… dommage car à partir de là il ne reste plus que le discours et le message, et tout ça prend une tournure trop moralisatrice pour convaincre.
Les dispositifs de mise en scène liés au genre fantastiques sont (curieusement) tous utilisés dans ce film, ce qui en fait un film fantastique, du moins sur la forme si ce n’est sur le fond… encore que, puisqu’il s’agit d’illustrer un idéal, dont l’histoire humaine a déjà prouvé qu’il était peut être impossible à atteindre (le communisme en Chine, en URSS, en Corée ou à Cuba), il y a une certaine forme d’onirisme, d’irréalité, à y croire encore.
Le message final semble nous dire qu’il importe peu d’échouer, il faut au moins essayer, encore et encore, sans perdre espoir !
L’image est très contrastée avec des ombres profondes, et des couleurs jaunes dorées, un camaïeu de cuivre et de bronze.
Etrangement, ce film japonais nous propose une photographie qui rappelle le travail des français Jean Pierre Jeunet et Marc Caro à leurs débuts, on se croirait parfois dans « Delicatessen ».

La lenteur du montage et l’abondance des dialogues favorise l’ennui des spectateurs, même si il y a quelques jolies séquences chorégraphies avec soin, lorsque les ouvriers travaillent à la chaîne, au milieu d’engrenages géants, simples rouages du système.
Les décors se réduisent à quelques salles censées donner un aperçu de tout le bateau, la calle où dorment les travailleurs, la conserverie, la cabine radio, le mess des officiers, et c’est tout. Il est difficile d’adhérer à la représentation de tout une société, même en microcosme, avec un tel manque de moyens… même si ces quelques décors sont agencés avec talent, surtout l’usine digne d’un Charlie Chaplin, ils ne suffisent pas à croire à la réalité tangible de ce qu’on nous raconte… d’où peut être ce choix d’une ambiance fantastique, tour à tour de slasher (disparitions inexpliquées), de maison hantée (bruitages et lumières spectrales), et de caricature onirique (l’idéal n’est qu’un rêve).
Les costumes sont trop simples, un peu de fantaisie aurait pu renforcer l’aspect uchronique du film (en mélangeant des éléments de steampunk par exemple, encore une fois à la Caro), mais il s’agit d’un manque évident de moyens financiers, ce qui n’est pas étonnant vu le propos du film (on se demande déjà comment il a pu être produit au Japon).
Il faut quand même citer l’idée de génie du designer qui a conçu le drapeau des révoltés, des mains se rejoignant pour former un engrenage, un excellent design qui pourrait être réellement repris par un groupe extrémiste, tant sa force d’évocation et de rassemblement est immédiate.
Il n’y a pas d’effets spéciaux à proprement parler, à part quelques fumigènes pour cacher la misère du huis clôt trop réduit.

Les acteurs jouent bien, sans plus, mais c’est dommage de ne pas avoir donné à Kango Kora un rôle plus conséquent (Goro dans « Fish story »), un acteur de cette trempe et son charisme aurait fait un leader épatant dans ce script, et il se retrouve juste à faire le malade crachant ses poumons dans son coin.
La musique est peu présente, sauf dans les chorégraphies de travail déjà citées, où elle est composée à partir de bruitages métalliques, un peu du style de Brad Fiedel dans « Terminator ».
En conclusion, ce film correspond sûrement à un besoin viscéral et honnête de s’exprimer de la part de son réalisateur, mais trouvera difficilement un public réceptif… je suis le premier à le regretter, car j’aurais aimé pouvoir le défendre davantage. Comme disait le Che, la révolution sera mondiale ou ne sera pas…


Une scène mémorable qui vous donnera (peut être) envie de voir le film :
L’avant dernier plan du film montre un engrenage s’écrouler, symbole de la force qu’une simple grève générale pourrait avoir, sans la peur de la répression.