THE WHITE HAIRED WITCH OF LUNA KINGDOM


Genre : heroic fantasy, martial arts
Pays : Chine, Hong Kong
Réalisateur : Jacob Cheung Chi Leung
Cast : Fan Bingbing, Huang Xiaoming, Vincent Zhao
Scénario : Guo Junli, Kang Qiao, Shi Heran, Wang Bing, Zhu Yali
Soundtracks : Peter Kam
Producteur : Huang Jianxin
Année : 2014


Synopsis :

Au 17e siècle, la dynastie Ming ressemble à une république bananière: la corruption est endémique, la population s’auto-digère faute de grains de riz dans les gamelles, l’armée rebelle Jin est aux portes du royaume et l’empereur vient de mourir empoisonné. C’est dans cette ambiance décontractée que sévit Jade Rakshasa, sorte d’ambassadrice de l’Unicef avant l’heure, distribuant des claques aux gredins et de la bouffe aux plus démunis. Planquée dans son Fort Lunar, à flanc de falaise, elle ne s’autorise que des raids éclairs vaguement tolérés par un gouvernement débordé. Mais sa cote va monter en flèche dans le top 10 des brigands wanted dead de préférence, quand elle sera accusée à tort du meurtre d’un général émérite de l’empire. Flairant l’embrouille politique concoctée par des eunuques en mal de pouvoir, Jade va vite regagner sa planque imprenable qui est devenue entre-temps le dernier obstacle de l’armée Jin avant de conquérir le royaume…

L’Avis du BIFFF :

Monument de la littérature chinoise, le livre de Liang Yushen a déjà connu trois adaptations au cinéma, dont une signée par l’ami Ronny Yu (The Bride of Chucky) ! Cette fois, c’est Jacob Cheung qui s’y colle, quittant le drame pour le wuxia à grand spectacle, tout en s’offrant les conseils avisés de Tsui Hark. Quant au rôle titre, c’est Bingbing Fan (X-Men: Days of Future Pasts, Iron Man 3) et son visage de porcelaine qui décrochent la timbale !

L’humble avis de Laurence Both :

Le personnage de la fille aux cheveux blancs est tiré d'une légende chinoise :
Tenue en esclavage et sans cesse maltraitée par un méchant homme (despote local), qui a battu à mort son père, elle parvient à s'enfuir dans la montagne.
Son fiancé, la croyant disparue à jamais, s'engage dans l'armée, et retrouvera plus tard la jeune fille, réfugiée dans un ancien temple qu'elle hante, tel un fantôme : elle a subi tant de souffrances et de privations que ses cheveux en sont devenus blancs…
Ce fut une histoire classique qui devint l’un des seuls ballets autorisé dans les années 60 pendant la révolution culturelle (la compagnie de Shangaï vient justement de le jouer à Paris récemment).
Le réalisateur Ronny Yu fit déjà un film célèbre de cette même légende en 1993, « Jiang-Hu » (La Mariée aux cheveux blancs), inscrit dans le genre wu-xia-pian (héroïc fantasy chinois), auquel David Wu donna une suite la même année.
« Jiang-Hu » est un film à succès, son scénario est inspiré du roman de Liang Yusheng, dont le titre anglais est justement « The White Haired Witch of Lunar Kingdom » (ou « Baifa Monu Zhuan »).

Personnage principal du film, Lian Ni-tchang, est vaguement basé sur le protagoniste du roman de Liang Yusheng « Baifa Monu Zhuan », qui avait déjà servi de matériau de base pour le film de 1982 de Wolf Devil Woman.
Chen Wentong (5 Avril 1926 au 22 Janvier 2009), mieux connu sous son nom de plume Liang Yusheng, était donc un écrivain chinois.
Crédité comme le pionnier de la "New School" du wuxia dans le 20e siècle, Chen était l'un des écrivains les plus connus de ce genre dans la deuxième moitié du siècle, aux côtés de Jin Yong et Gu Long.
Ce roman « Baifa Monu Zhuan » a donc déjà été adapté en maints films et autres séries télévisées, de 1959 à nos jours.
Le roman avait été sérialisé dans le Xin Wan Bao d’août 1957 à septembre 1958, mais on y retrouve beaucoup des personnages des deux romans précédents de l’auteur ; il se passe cependant sous la dynastie des Ming, et non des Qing, on peut donc considérer qu’il leur est chronologiquement antérieur.
Il est construit sur une trame historique, ou pseudo historique, qui fait la part belle aux intrigues liées aux tribus nomades du nord ou du nord-ouest, comme chez Jin Yong, et comme beaucoup de romans de wuxia du début du siècle.
Mais le personnage de la « diablesse aux cheveux blancs » est une variation originale sur le thème de la nüxia.

La littérature de wuxia est marquée par une autre figure qui lui est complémentaire comme le yin l’est au yang, son image au féminin : la nüxia, terme tout aussi intraduisible que son homologue masculin.
Beaucoup de ces récits font apparaître, comme par enchantement, des personnages de femmes dotées de pouvoirs exceptionnels, capables d’accomplir des missions salvatrices.
Comme le xia, la nüxia est à l’origine née d’événements réels, mais transformée par la fiction.
Ce qui caractérise bien la nüxia, ce sont ses pouvoirs magiques, son arsenal de potions et pilules qui lui confèrent des capacités martiales hors du commun, comme s’il fallait pouvoir expliquer comment un faible corps de femme pouvait acquérir une résistance et une force capables de l’affranchir de la pesanteur ordinaire pour lui faire franchir des murs d’un bond et des centaines de lis d’une seule traite.
La nüxia est une création de l’imaginaire taoïste, et qui le restera même quand ses pilules seront délaissées pour la maîtrise du souffle - du qi.
Mais la caractéristique essentielle de la nüxia telle qu’elle apparaît initialement dans les romans, c’est sa liberté, sa capacité fondamentale à s’abstraire des normes et des conventions, sociales et familiales.

Si elle reflète sans doute la liberté – relative – dont jouissait la femme dans la société des Tang, elle traduit surtout le rêve, le fantasme de l’imaginaire en période de troubles, mais c’est un fantasme à l’identité ambiguë qui lui donne toute sa subtile profondeur.
La nüxia est salvatrice, elle lutte contre le désordre et l’injustice ; en même temps, cependant, elle est, de par son indépendance même, et parce qu’elle est femme, se voulant indépendante, un défi à l’ordre de la société traditionnelle.
La nüxia est un électron libre et, à l’origine, sous les Tang, dénuée de toute émotion.
C’est la tension née de cette identité ambiguë qui fait la force de ces personnages : formée pour agir (et tuer), la nüxia disparaît quand elle a achevé sa mission, on ne sait où, mais le plus souvent dans quelque caverne d’immortel taoïste.
Les récits eux-mêmes sont écrits dans un style qui traduit la tension entre le réalisme des descriptions factuelles et le surnaturel des éléments de l’histoire qui sont justement là pour la rendre crédible.... les nüxia sont des personnages de légende, mais ancrés dans la réalité !
Ce film « The White haired witch of luna kingdom » est donc enfin une version plus fidèle du roman de Liang Yusheng « Baifa Monu Zhuan », car « Jiang-Hu » en était une version assez éloignée finalement (par son délire exagérément fantastique).
Dans l’époque difficile dépeinte, pendant un changement d’empereur, le peuple a faim, des rebelles le défendent face à l’armée…
Un homme tombe amoureux de la femme soupçonnée d’avoir tué son grand-père.
Au milieu des complots, l’amour sera-t-il le plus fort ?…

Le message du film traite de la traîtrise et des manipulations entre clans, ainsi que de l’utilisation de l’art de la guerre du stratège Sun Tzu, tout en affirmant que l’amour reste le plus puissant, même dans la mort.
La réalisation se situe dans la tradition du wu xia pian classique, sans grande originalité donc, mais elle reste très intense.
Les cadrages usent de beaucoup de plans larges, pour transmettre l’ampleur des paysages, et de cadres en mouvement pour les affrontements.
La photographie a des teintes bleues et blanches pour le clan de la montagne, et des teintes chaudes et jaunes pour les paysages de désert et de toundra du clan de la lune, on trouve enfin des couleurs or et rouge pour dépeindre le luxe des intérieurs de la cité.
Le montage prend tout son temps, et joue sur l’intensité des différents parties du récit, mais en restant assez lent.
Il est évidemment plus rapide dans les combats, avec un jeu de ralentis sur certains mouvements.

Les décors nous montrent un village de haute montagne, puis un périple dans la nature, une grotte, une cité interdite, les fastes de l’architecture chinoise, et toute une cité troglodyte.
Certains lieux sont réalisés en synthèse ou en studio.
Les costumes traditionnels et armures sont au top du genre wuxia, notons une petite innovation sur l’armée secrète de l’empereur, avec ces hommes tout en noir portant un masque de cuir intégral sans visage.

Les SFX montrent des animations de fluides et de fumées, des brumes, et des décors en synthèse.
Bien sûr les maquillages et le faux sang représentent les blessures lors des combats câblés.
Les acteurs sont très charismatiques dans leur jeu intense, ils sont tous parfaits dans leurs rôles.
Il est assez rare de voir Vincent Zhao alias Chiu Man-cheuk dans une rôle de méchant, lui qui nous a habitué à des rôles de héros tel que « Wong Fei-hung ».

La musique symphonique est très épique, avec utilisation de violons et de cuivres pour l’action, des airs de flûtes en solo ou de la harpe dans les moments plus calmes, et quelques passages avec des instruments traditionnels chinois.
On a droit à une chanson de pop cantonaise dans le générique final.
En conclusion, « White haired witch of luna kingdom » est un wu xia pian très historique, sans effet extraordinaire, et qui joue avant tout sur les sentiments fort de ses protagonistes.