THE TEMPTATION OF ST. TONY

 

Director: VeikoOunpuu
Genre: Bizarre, Culte
Section: 7e Parallèlle, Sélection Officielle
Competition: 7e Parallèlle 2011
Countries: Estonie, Finlande, Suède
Year: 2009

AVIS DU BIFFF

Quadra en pleine crise existentielle depuis la mort de son père, Tony est complètement paumé. Il observe le monde qui l’entoure et constate qu’il a un petit fumet d’apocalypse : ses contemporains semblent s’emmerder ferme et tuent le temps en organisant des orgies nihilistes ou en faisant de la métaphysique de comptoir pour tout et n’importe quoi – du genre : passe-moi le sel, qui suis-je ? Tony va dès lors faire le bilan des valeurs qui régissent sa vie et tenter de trouver une réponse satisfaisante en sept chapitres – comme autant de péchés capitaux ou de cercles dans l’Enfer de Dante. Passant à la moulinette la déliquescence de la religion, l’illusion de l’amour, l’effritement des relations sociales, Tony va finir par comprendre que, malgré l’abus d’alcool, les hommes ne savent plus pourquoi. Flirtant ainsi avec un suicide social, Tony affrontera des réponses peu gouleyantes pour sa survie. Qui suis-je ? Un paumé. Où suis-je ? Dans la merde. Où vais-je ? Droit dans le mur, Tony. Droit dans le mur…

Ce requiem poétique ultra référencé – choisi d’ailleurs pour représenter l’Estonie aux derniers Oscars - est la confirmation du talent de VeikkoOunpuu, après son multi-primé Autumn Ball. Inspiré de La Divine Comédie de Dante et de La Tentation de Saint-Antoine de Jérôme Bosch, St Tony lorgne également vers le cinéma de Roy Andersson avec son humour pisse-froid, transpire l’absurdité kafkaïenne à chaque plan et s’installe confortablement entre Tarkovsky et surtout Bunuel et son surréalisme métaphysique. C’est du lourd sans un gramme de prétention indigeste : la classe internationale que je vous dis !

MON HUMBLE AVIS

Variation autour des mythes crées par Dante et Bosch, ce film d’auteur estonien veut nous dresser un bilan pessimiste de nos sociétés modernes, où le bien et l’innocence naïve n’auraient pas leurs places.

Le héros est donc confronté à l’absurdité de la mort (son père, un inconnu accidenté, un chien écrasé…) à la déliquescence de nos institutions (le patron libidineux de son entreprise, les policiers corrompus, les riches jouissant d’un marché aux esclaves pour assouvir toutes leurs pulsions), et à l’échec des relations humaines (son mariage raté, son histoire d’amour impossible, son incapacité à avoir une conversation constructive avec qui que ce soit...). Ce portrait négatif de nos existences est plus amusant que dérangeant, car il est fait avec un humour noir surréaliste, mais il n’en est pas moins déprimant…

La mise en scène est celle d’un « film intello » ( !), comprenez par là qu’elle est lente, contemplative, avec des atmosphères lourdes et silencieuses, interminables…

Les cadrages sont assez performants et inventifs : dès l’ouverture, une mise en abîme d’un cortège funéraire est effectuée par l’ouverture d’une fenêtre, tronquée par un pan de mur… les trois éléments mis en mouvement par le panoramique de la caméra suivant le cortège, on obtient un pur effet cinétique renforçant l’état d’esprit sclérosé des personnages : du cinéma à l’état brut ! Des principes simples, donc, mais employés avec art et sobriété (contre plongée impressionnante sur l’équivalent de Faust, anti-héros perdu dans des plans larges écrasants).

Le film est joliment photographié, en noir et blanc, ce qui rajoute au côté « art et essai » de l’ensemble. Ce choix permet de faire de magnifiques clair/obscur qui servent le propos « tentation par le mal » du scénario, tout en entretenant le mystère (arbres morts, décors décrépis, brouillard) et en camouflant le manque de moyens (moins de lumières, homogénéité visuelle et rares SFX passant mieux).

Le montage est malheureusement trop lent pour le public actuel (moi y compris, et pourtant, je suis un « vieux con »), lors de certains plans séquences, on s’ennuie ferme, mais il y a des variations de rythmes d’une scène à l’autre, alors on se surprend à « tenir » jusqu’au bout.

L’interprétation est assez terne, les visages restent neutres, inexpressifs, malgré les « énormités » de l’histoire, mais cette banalité calme du jeu des acteurs est voulue car elle sert l’humour décalé des situations. On notera la présence incongrue d’un acteur que j’adore, Denis Lavant (« Les amants du pont neuf », « Tokyo ! segment Merde »…) qui nous gratifie d’une imitation de Charlie Chaplin !

Les décors insistent sur la déliquescence de nos valeurs avec leurs murs rongés par l’humidité, leurs peintures craquelées, ou leurs extérieurs naturels hivernaux et boueux. Le seul personnage ayant un costume travaillé est le mystérieux Mr Meyer, magicien satanique, dont l’apparition est d’ailleurs magnifiquement mise en valeur par la réalisation.

Quelques SFX amateurs parsèment le métrage (faux sang, mains coupées, tronçonneuse dans le corps, cannibalisme de viscères), heureusement « améliorés » par le noir et blanc.

La musique est contre toute attente un point fort du film, d’une modernité inattendue, elle utilise autant un orchestre de chambre, de l’électro, que de l’industriel aux intonations punk, pour un résultat extrêmement puissant, perçant fort dans les graves, toujours en adéquation percutante avec les images.

En conclusion, ce film est à réserver aux cinéphiles à la recherche de curiosités, saoulés de la shaki-cam incontrôlée de trop de survivals insipides, et souhaitant renouer avec un cinéma introspectif plus mature. Il contient de beaux passages oniriques, mais il faut être réaliste et honnête… il est quand même un peu chiant !