SAD TRUMPET BALLAD (BALADA TRISTE DE TROMPETA)

 

Director: Alex de la Iglesia
Genre: Blood&Gore, Comédie, Drame
Section: Sélection Officielle
Countries: Espagne, France
Year: 2010

 

L'AVIS DU BIFFF

En 1937, l’Espagne est en train de se taper une cuite monumentale aux relents fascistes. L’armée républicaine, en manque de chair à canon, décide d’enrôler de force les troubadours d’un cirque pour aller tailler des cratères dans la couenne des infâmes Franquistes (à ne pas confondre avec les amateurs de Franquin). Le boucher salvateur de cette journée funeste n’est autre qu’un clown en tutu rose qui transforme l’offensive en véritable carnage, façon Viva Zavatta ! En 1973, Javier – fiston du matador irascible – est devenu un pierrot lunaire en hommage au paternel. Mais il a désormais une raison supplémentaire de tirer la gueule, car il se voit contraint de partager l’affiche avec Sergio, une véritable raclure grimée qui hésite encore entre arracher des sourires aux enfants ou des sacs à main aux mamies sans défense. L’histoire aurait pu en rester là si Natalia, trapéziste roulée comme une sociétaire de Victoria’s Secret, n’était pas venue attiser la haine que se portent les deux clowns. L’affrontement prendra alors des proportions dantesques, où la folie furieuse de la guerre civile se retrouvera cristallisée par deux Augustes machiavéliques, prêts à tout pour s’emparer de l’Espagne à bonnet D.

Reprenant – entre autres – l’effet miroir Orwellien comme passerelle d’une métaphore salée, Alex de la Iglesia nous livre ici une charge grand-guignolesque contre les élans totalitaires. Mégalomane génial, il crée avec Balada… un bordel épique et baroque qui a raflé le prix du scénario et de la mise en scène au dernier Festival de Venise. Autant le dire tout de suite, on est à des kilomètres du timide et propret Oxford Murders !
L'AVIS DU NIFFF

Si les clowns font généralement rire, Alex de la Iglésia les détourne de leur usage commun pour développer une métaphore intelligente sur l’histoire tragique de son pays. Un film effrayant et touchant, sur la haine et l’amour, la raison et la folie.

MON HUMBLE AVIS

L’amour fou selon Iglesia, c’est l’abandon total de toutes ses inhibitions pour se donner corps et âme à l’autre, quelles qu’en soient les conséquences….

A travers la métaphore de son triangle amoureux contrarié, Alex de la Iglesia cherche en fait à dresser le portrait (attendri et acerbe à la fois) du peuple espagnol : le duel entre l’oppresseur et l’oppressé, allant jusqu'à faire du mal à l’élue de leur amour mutuel, représente la dualité politique espagnole, partagée entre deux extrêmes, le franquisme fasciste, et l’extrême gauche terroriste, qui iront jusqu’à détruire leur objectif commun, le pays.

Il est important de noter que selon cette interprétation, l’Espagne serait alors symbolisée par une artiste masochiste, à la fois pure princesse et pute soumise, qui a totalement besoin de sa soumission, tout en rêvant malgré tout de liberté. Cette vision cynique du peuple espagnol sous Franco est caractéristique de l’esprit contestataire du réalisateur.

Alex de la Iglesia est un très grand metteur en scène. Dans ses débuts en apparence « underground » (« Action mutante », « Le jour de la bête »…) il était quand même parrainé par Pedro Almodovar, il a gravi ensuite tous les échelons de la reconnaissance publique et critique, nationale en prenant la présidence de l’Académie des arts et des sciences cinématographique d’Espagne qui remet des goyas (équivalent des césars), et internationale en rejoignant Hollywood pour « Crimes à Oxford ».

C’est avec délectation, qu’on assiste à ce franc retour aux sources, où il s’éclate à repousser toutes les limites du bon goût, envoyant paître les coincés des cinémathèques dans un festival de violence et de sexe, totalement « politiquement incorrect ».

Sa mise en scène est toute aussi jubilatoire que son scénario, valsant avec aisance sur tous les styles, selon les séquences, de l’intimisme au grand spectacle, du film noir au film de guerre, de la comédie au drame le plus sordide (et ce parfois dans une même scène).

On assiste donc à un véritable grand huit émotionnel, passant sans arrêt du rire aux larmes, sans omettre les frissons car Iglesia est un grand fanatique de cinoche de genre.

Les cadrages utilisent beaucoup de mouvements de grues, de rails, de travelling ou de caméra portée, et quelque soit la séquence, ça reste toujours très dynamique.

Avec un montage bien speed lui aussi évidemment. On ressort épuisé de la projection.

L’interprétation est magistrale, les acteurs principaux sont aussi attachants que terrifiants, et on a encore une fois beaucoup de plaisir à retrouver les trognes habituelles de ses casting, des « freaks » d’ « Action mutante » à son vieux complice Santiago Segura, avec qui il s’est manifestement réconcilié (Jaume – rec – Balaguero nous avait effectivement expliqué au NIFFF qu’ils s’étaient brouillés suite à des conflits d’ego, lorsque Segura était devenu lui aussi réalisateur….).

De nombreux décors émaillent ce film, qui nous emmène des coulisses d’un cirque aux demeures des puissants militaires franquistes, en passant par un refuge forestier lors d’une régression primale (que n’aurait pas renié Jodorowski dans un de ces films), ou la croix géante de la Valle de los Caídos, symbole fort de la relation étroite entre le pays et la religion.

Les costumes nous offrent aussi de bonnes images caricaturale, surtout ceux des clowns tirés de leur contexte habituel… cela donne quelques séquences cultes comme celle où Santiago Segura, travesti et maquillé, défonce des soldats à la machette, ou bien celle où Carlos Areces se bricole un costume d’auguste à partir de robes et de mitres d’évêques, tout en se grimant et se défigurant au fer à repasser ! ! ! Il faut le voir pour le croire !

 

Les SFX sont nombreux, il y a beaucoup d’effets gores, et de maquillages très réussis, ainsi que des extensions de décors en CGI (pour la reconstitution), et une explosion terroriste en image de synthèse, particulièrement bien foutue.

Roque Banos est LE meilleur compositeur en activité en Europe, dès le générique, son thème est si magistral, il en impose tellement, qu’il donne le ton pour la suite. On pense à Bernard Herrmann et à Ennio Morricone, sa B.O. est sublime, aussi noire que possible, avec des moments de folie qui accompagne parfaitement les images.

En conclusion, « Balada triste de trompeta » est une pure merveille, un film amer mais beau, qui vous hantera bien après la séance.