Conann

 

France Belgique Luxembourg — 2023 — 1h45

Réalisation : Bertrand Mandico
Acteurs : Elina Löwenshon, Christa Theret, Agata Buzek

 

Conann assiste, impuissante, à l’exécution atroce de sa mère alors qu’elle n’est qu’une enfant.

La fière barbare va se venger et perdre la mémoire avant – malheureusement pour elle – de la retrouver.

Conann présente six périodes de la vie tragique, par intervalles de dix ans, d’une version féminisée du personnage viril popularisé par Arnold Schwarzenegger, à travers plusieurs visages dont celui de Christa Theret en jeune adulte sauvage.

En revisitant le héros de Robert Howard avec son imaginaire unique, le réalisateur des « garçons sauvages » et d’ « After blue » nous offre de l’héroïc fantasy féministe à la croisée des époques et une charge politique pour dénoncer tous les totalitarismes.

 

Mon Humble Avis :

 

Mandico est un réalisateur expérimental qui a tendance à vider la salle de ses spectateurs !

C’est sa rencontre avec un directeur de théâtre qui aboutit à ce projet censé faire le lien entre théâtre et cinéma…

Mandico relit donc Robert Howard, ou du moins des comics Marvel, revoit Conan le barbare, le destructeur et même Kalidor (puisqu’il place Sonja n’existant pas dans les nouvelles originales) dans sa version féministe et WTF du personnage légendaire…

Au final, Conann est encore un film qui divise, on déteste ou on adore.

Au moins, c’est punk et non aseptisé, en ces temps de wokisme consensuel c’est déjà pas mal…

 

La réalisation a un style onirique à la forme non naturaliste.

Dès le générique de début, on comprend qu’il y aura trop d’effets de style !

Par exemple, de trop longues scènes en une insupportable lumière stroboscopique.

A l’inverse, certaines idées fonctionnent très bien, comme les inserts en couleurs dans des scènes en noir et blanc, pour insister sur des actes violents.

Le problème est une question de dosage, ça déborde de créativité, mais le mieux c’est de faire des choix signifiants, pas de fourrer au forceps toutes ses idées coûte que coûte.

 

Les cadrages alternent plans poitrine et larges avec une caméra sans cesse en mouvement (qui devient de la « shaki-cam » lors des scènes d’action).

On voit d’hyper gros plans étonnants, comme les inserts sur les langues lors des french kiss lesbiens !

 

La photographie emploie des lens flare qui évoquent Excalibur de Boorman, on début on trouve ça joli, mais encore une fois la quantité est exagérée, et ça finit par devenir lourd.

Seuls le fil rouge et les inserts violents sont en couleurs, le reste du film, qui déroule les souvenirs de Conann en flashback, est entièrement en noir et blanc.

C’est une bonne idée, car les effets spéciaux approximatifs passent toujours mieux en n&b, de même que les décors trop factices, et c’est aussi plus facile de faire de la belle image bien éclairée.

Notons la présence étrange de plans en négatif, un choix osé et bien entendu totalement gratuit.

 

Malheureusement, il y aussi parfois des flous, avec cette caméra expérimentale se déplaçant au hasard dans la scène.

 

Le montage utilise beaucoup de plans, même en fondus enchaînés (ce qui devient rare).

Ça fait penser à « Tetsuo » de Tsukamoto, en moins rapide tout de même.

Nous apprécions que cela ne fasse pas « théâtre filmé », mais ressemble bien à du vrai cinoche, même si c’est un film d’auteur bien barré.

 

Les décors sont minimalistes, ce sont bien des décors de théâtre sur plateau (voire sur une scène).

On y voit un « trône de fer » cheap, des cavernes, de la nature brumeuse, le monde des esprits aux statues grecques flottant dans le brouillard, le New York des années 90, la troisième guerre mondiale, des ruines urbaines, et même un appartement luxueux de maîtresse du monde.

Tout ça est évoqué avec quelques éléments bien choisis, des ombres et de la fumée pour cacher la misère… du grand art.

Il y  un très beau moment de conversation entre deux filles chacune d’un côté d’un mur, la caméra passant de l’une à l’autre en travelling, en jouant sur le fait qu’il ne s’agit que d’un décor au mur tronqué !

 

Les costumes font tout d’abord dans le médiéval anachronique (matières et accessoires modernes), puis dans le moderne sexy-chic.

Les plus marquants sont les sbires aux yeux brillants, les tenues de gorilles avec des visages métalliques sur le torse, les bretelles nazis cache tétons, les seins à crochets, l’armure en facettes métalliques, ou les hommes masqués traînant dans les bains de la fin du monde…

Les femmes sont masculinisées par des costumes virils, et les hommes sont presque tous travestis et efféminés.

 

Les SFX proposent un masque de chien bien animé, et de nombreux effets sanglants over the top, comme des découpages gores à la Baby cart, ou la scène finale de cannibalisme artistique !

Par contre, il y a curieusement une balafre de gorge bien rippou sur l’actrice black, alors que le même maquillage est réussi sur toutes les autres incarnations de Conann…

 

Le casting aligne de superbes femmes (Sonja a un visage magnétique, et la Conann black des jambes hypnotiques), qui jouent les bad ass.

Plus étonnant sont leurs étranges dictions et accents (anglo-saxon, allemands, et des pays de l’est)…

Il y a même tout un acte en anglais, dans le New Ork des 90’s.

Le surjeu des actrices est forcément théâtral, leur texte trop verbeux, et le script n’est pas exempt de répétitions et de lenteurs, ce qui gâche son ambition démesurée…

 

La musique use d’abord de percussions sourdes, avec un synthéwave épique, puis ça devient du rap des nineties, et devient finalement moins marquant vers la fin.

 

En conclusion, Mandico prévoie de faire une suite à ce film sous forme de pièce de théâtre, dont la captation vidéo passera aussi au cinéma.

L’univers étendu multimédia de Conann se déclinera aussi avec un court métrage diffusé sur le web, autour du personnage secondaire de l’homme-chien Reiner.

Pour terminer, on peut citer cette ligne du dialogue qui résume à la fois la folie et la volonté de provocation de cette œuvre :

« Heureux les nécrophiles, ils ne seront jamais trahis en amour ! »