GARUDA POWER – THE SPIRIT WITHIN


Réalisateur(s) : Bastian Meiresonne
Producteur(s) : Julien Thialon, Cécile Jeune, Bastian Meiresonne
Scénariste(s) : Bastian Meiresonne
Photographie : Fahim Rauyan
Montage : Cédric Tromeur
Musique : David Tandayu
Interprète(s) : Budi Nugroho, Rudolf Puspa and many others
Pays : France, Indonésie
Année : 2014
Durée : 1h17

Synopsis :

Le récent succès exceptionnel de The Raid a attiré l’attention sur l’Indonésie, propulsée pays producteur de films d’action.
Mais The Raid est loin d’être le premier long-métrage de ce genre : il est l'héritier d'une longue tradition de films complètement déjantés, produits dans le pays dès le début des années 30.

L’avis du FEFFS :

Garuda Power plonge délicieusement dans l’histoire de cette production traditionnelle unique, allant des films d’arts martiaux des années 1930 aux copies de James Bond dans les swinging sixties, en passant par les adaptations de bandes-dessinées et leurs super-héros des années 1970.
Avec ce documentaire, étayé par des images rares et des entretiens avec des acteurs cultes et des réalisateurs, Bastian Meiresonne rend un vibrant hommage à un peuple et à son riche patrimoine cinématographique.
Mais il tire également la sonnette d'alarme face à un cinéma d’action indonésien moribond ayant connu de nombreuses heures de gloire par le passé.

Mon humble avis :

Bastian Meiresonne est connu des festivaliers européens comme le spécialiste du cinoche asiatique, présentant les films avec l’enthousiasme d’un showman connaisseur et passionné.
Devenu documentariste pour poursuivre sa quête (faire découvrir des films rares à un plus large public), il est heureux de participer au FEFFS 2015, et remercie l’organisateur, les bénévoles, comme le public (moins de 20 curieux dans la salle, mais il faut un début à tout) !
Pour pouvoir faire le circuit des festivals avec un documentaire sérieux sur ce sujet pointu, Bastian Meiresonne a travaillé 6 ans, faisant plusieurs fois le voyage en Indonésie, et ayant eu affaire à de nombreux dangers, du à la corruption sévissant sur place.
Les nombreux extraits émaillant le documentaire sont tirés des dernières copies existantes des films cultes en question…

Le message du film est donc d’attirer notre attention sur la production importante dans le genre de l’action du cinoche indonésien.
Le tout premier film indonésien, sous l’occupation hollandaise, est déjà un film d’action.
Dés les années 30 & 40, on produit des films d’arts martiaux.
Dans les années 50 ce sont des films de guerre, développant une culture nationaliste par l’héroïsme.
Puis cela s’élargit : des sous-Tarzan, des contes des 1001 nuits, des films de gangsters, de super-héroïnes…
Dans les années 60 on trouve des copies de James Bond.
Puis, beaucoup d’adaptations de comics locaux sont produites dans les années 70 (sans grande fidélité).
Dans les seventies, on trouve aussi des films de kung-fu proche de ceux de Hong-Kong à cause du succès des Shaw Brothers à l’importation, et de l’immigration de chorégraphes chinois.

Ce sont souvent des co-productions taïwanaises.
Puis vient la période des sous-Bruce Lee.
Dans les années 80, on copie de plus en plus le cinéma américain, avec d’abord Rama le superman indonésien, puis des imitations de Terminator ou de Rambo…
Cela s’exporte mieux, surtout si on les tourne directement en anglais.
Malheureusement, dans les années 90, on passe de 115 films en moyenne par an à 4, le cinoche de genre se meurt.
Depuis 2000, on a produit seulement 19 films d’action en Indonésie…

La réalisation de Bastian Meiresonne emploie des astuces de mise en scène de fiction dans un documentaire (subjectivité émotionnelle donc et non stricte objectivité journalistique), on ressent à chaque frame ses grandes connaissances cinéphiles, comme sa passion communicative.

Les cadrages sont plus variés qu’on pourrait s’y attendre dans une série d’interviews, par exemple on trouve des gros plans servant d’inserts pour dynamiser les scènes.
Il y a aussi l’emploi d’affiches ou de photos d’exploitation au milieu des déclarations, afin de rythmer la chose.

La photographie a globalement une très belle lumière malgré le faible budget comme le tournage commando en extérieur.
Il y a par exemple des ombres porteuses d’émotion dans les scènes nocturnes, et de jour les interlocuteurs interviewés sont bien détourés, parfois sur des arrières plans flous.

Le montage est bien dynamique.
L’intro sur le cinéma en plein air se transforme en vrai film en passant au travers de l’écran…
Bastian Meiresonne use du montage pour conférer une certaine ambiance surréaliste, voire fantastique, à son court métrage, par la juxtaposition des extraits, avec des interviews nocturnes, ou par la dramatisation du discours du responsable de cinémathèque, très mis en scène.
Bien entendu, les extraits sont utilisés pour dynamiser les entretiens.

Les décors nous donnent à voir une cinémathèque, son arrière-boutique en bordel, des salles de projections, des web-cafés, et d’anciens cinémas transformés en salle de tennis, en terrain de foot, ou carrément en ruines !
Il y a aussi une scène de tournage d’un feuilleton d’action située en milieu rural, où l’on tourne un épisode pour une diffusion le lendemain, voire le jour même.
Plusieurs scènes nous montrent les projections en plein air sur un écran tendu entre 2 bambous.

Les costumes des acteurs dans les extraits sont souvent kitchs et poilants.
Ceux des protagonistes des entretiens sont plus décontractés (des marcel ou des chemises légères à cause de la chaleur).

Les effets spéciaux nous montrent dés le début du documentaire que les indonésiens n’ont pas attendu « The Raid » pour apprécier les combats au couteau !
Grâce aux extraits, on a droit à tout un festival de ce qui s’est fait de meilleur au travers des âges : mains et tête tranchées qui se remettent seules en place (dans « The Warrior »), une énucléation hyper gore pour une greffe, un robot craignos, des rochers coupés à mains nues, des arbres explosés à coups de pieds, des rayons laser lancés avec les doigts, des « Kaméhaméha » à la DBZ, des hommes enfoncés dans le sol par leurs adversaires, de la lévitation, des méchants coupés en deux, un cyclope, une guillotine volante, des jambes tranchés en veux tu en voilà, et même d’hallucinants hommes crocodiles !!!
Dans le documentaire lui-même, Bastian Meiresonne use aussi d’effets, comme la transformation de la fin d’un extrait live figé en image dessinée (par un filtre photoshop) lorsqu’il est question d’adaptations de comics.
De plus, pour conclure, le documentaire lui-même est projeté (par incrustation dans l’image) dans un cinéma en ruines, devant le responsable de cinémathèque, une mise en abîme audacieuses.
Bastian Meiresonne répète ce schéma en sortant des codes stricts du documentaire, par le biais d’un écran en plein air, devant un acteur symbolisant le genre, qui s’éloigne dans une plaine brumeuse… passant ainsi à une scène de fiction pure.

Le casting est donc composé de cet unique acteur baraqué pour la scène en question.
Les intervenants réels semblent heureux de s’exprimer sur un sujet qui leur tient à coeur, dans un contexte extérieur complexe (dispute pour le pouvoir après une longue dictature), où peu s’en inquiète.
Les acteurs apparaissant dans certains extraits sont parfois pas très doués, surtout dans les périodes les plus anciennes, mais cela est souvent compensé par une action décomplexé, et les chorégraphes de Hong Kong.
Le célèbre Barry Prima semble avoir marqué toute une génération de cinéphiles, voire le grand public dans son ensemble.
Barry Prima (né Humbertus "Bertus" Knoch en 1955) est un acteur indonésien et un artiste martial, qui fut l'une des plus grandes stars du cinéma indonésien pendant les années 1980.
Ses origines ethniques sont originales, puisqu’il est le sixième des 10 frères et sœurs d’un père Néerlandais et d’une mère Indonésienne.
L’actrice américaine Cynthia Rothrock apparaît dans le film « Lady Dragon ».
Certains interlocuteurs d’interviews ont des tronches assez impressionnantes, comme ce cascadeur défiguré pour avoir chuté par la mauvaise fenêtre, ou ce producteur au visage aussi crevassé que la chose des 4 fantastiques !
Etrangement, Bastian Meiresonne lui-même, pourtant à l’aise en public, n’apparaît pas en personne dans le documentaire, ses questions restant toujours hors champ des entretiens.

La musique utilise des chansons mélodiques insistant sur la tristesse de la situation du cinéma d’action indonésien.

En conclusion, plusieurs protagonistes rappellent à différents moments du métrage que le cinéma d’action indonésien n’a jamais su correctement représenter la violence, à cause d’une surenchère et d’une brutalité gratuite sans esthétisme (contrairement au cinéma chinois par exemple)…
Malgré tout, les amateurs de nanardises ont là une nouvelle source de recherches pour leurs futurs films cultes, tandis que les curieux envers un exotisme culturel se délecteront de la découverte.


Q & A BASTIAN MEIRESONNE :

Suite à la projection du documentaire « Garuda Power » au FEFFS 2015, Bastian Meiresonne s’est livré au jeu des questions/réponses avec le public présent.
Interrogé sur ses motivations à choisir un sujet aussi pointu, Bastian Meiresonne explique qu’il y a trois raisons à cela :
_ La première est sa rencontre avec une réalisatrice indonésienne d’un documentaire sur la polygamie au marché de film de Cannes, en se trompant de salle !
_ La seconde est le succès de « The Raid » alors que tout un âge d’or du cinoche d’action indonésien est inconnu du grand public.
_ Et la troisième est la persistance de cases soit pour les films d’auteur soit pour les films de genre, et sa volonté de briser ces cases pour mélanger les plaisirs, dans une vraie cinéphilie décomplexée (ou pour lui du V cinéma nippon trash avec des zombies et des nénettes à gros lolos a autant de qualité qu’un drame psychologique ou une étude de moeurs à fort message politique).
L’Indonésie a produit 80 films par an pendant l’âge d’or, seulement 5 sont sortis en salles en France, et à peine 10 en VHS (d’ailleurs j’en ai une moi même, le film d’épouvante « Magie noire », avec quelques DVD de films d’horreurs plus récents).
Bastian Meiresonne a créé une rétrospective du cinéma indonésien au festival de Genève comme à celui de Vesoul, mais il s’agissait surtout de cinéma d’auteur.
Les spectateurs indonésiens lui ont alors parlé du cinoche que eux connaissaient, il a alors eu l’envie de le faire découvrir à d’autres par ce biais.
L’âge d’or du cinéma d’action indonésien eu justement lieu durant la dictature, car les libertés étaient ôté ailleurs, tandis qu’une soupape restait permise dans ce secteur.
La censure reste par contre active aujourd’hui, car c’est une nation certes laïque mais avec une population musulmane, et c’est un marché familial.
Pourtant on trouve malgré tout un cinoche d’exploitation assez gratiné, avec de la violence et de l’érotisme…
La censure s’intéresse surtout à la politique, à la religion, et au sexe, mais il y a déjà une forte autocensure de la part des cinéastes eux-mêmes.
Comme cela n’avait pas été fait encore (en documentaire comme en livre) sur le sujet, Bastian Meiresonne a décidé de faire un film qui couvre tout le cinoche indonésien, même si des focus plus précis peuvent ensuite être faits, par lui ou par d’autres (comme par exemple sur l’érotisme des 70’s, ou les adaptations de comics)…
Il y eut des quotas mis en place par le gouvernement pour distribuer plus de films indonésiens que d’américains dans les salles, ce qui entraîna un regain nationaliste, mais ils tombèrent rapidement sous la force d’une menace de blocus économique américain.
Interrogé sur la concurrence ou les différences avec le cinoche philippin, Bastian Meiresonne précise qu’il y eu peu de ce cinéma distribué en Indonésie, contrairement à une forte influence de l’Inde (il y a de nombreux producteurs de télé d’origine indienne), ayant entraîné des films ressemblant à du Bollywood dans les années 70.
Aujourd’hui par contre, c’est la Corée qui influence l’Indonésie, avec le succès de ses séries de K Drama, le second distributeur en Indonésie étant coréen.
Un membre du public demande à Bastian Meiresonne de sortir une version longue qui mettrait en parallèle l’histoire du pays méconnue en France, c’est une idée à retenir pour une future édition DVD.
Le tournage de ce documentaire utilisa une équipe de jeunes indonésiens curieux de découvrir leur propre culture, et du s’opposer une constante corruption castratrice.
Cela a fortement influencé son ambiance mélancolique.
Depuis ces 6 dernières années il y a eu une radicalisation musulmane en Indonésie, dont le nouveau président n’est qu’un fantoche des anciens dirigeants de la dictature…
Parmi les pires difficultés rencontrées, les plus impressionnantes furent sans nul doute la mafia chinoise mécontente des scènes montrant le marché du DVD pirate, souhaitant couper la tête de Bastian Meiresonne qui a eu cette idée, et les bras du caméraman tenant la caméra !!!
De même, l’équipe du négocier avec les gangs de rues pour obtenir l’autorisation de filmer dans les différents quartier de Jakarta, comme avec les flics corrompus prêts à saisir le matériel technique si on ne leur payait pas un pot de vin !
Bravo encore à Bastian Meiresonne pour avoir mené à bien son projet, il est d’ores et déjà reparti vers la Thaïlande pour réaliser son second documentaire… cette fois, ça sera une déclaration d’amour aux western thaïlandais des années 70…