La Cinémathèque française est un organisme privé français (association loi de 1901) financé par l'État et par un grand nombre de mécènes, situé depuis 2005 dans un bâtiment construit par Frank Gehry dans le parc de Bercy.

Les missions de la Cinémathèque française sont la préservation, la restauration et la diffusion du patrimoine cinématographique.

Avec plus de 40 000 films et des milliers de documents et d'objets liés au cinéma, elle constitue une des plus grandes bases de données mondiales sur le septième art.

Lorsque j'étais parisien, je la fréquentait régulièrement pour mon activité de journaliste critique amateur, désormais j'y retourne surtout pour ses expositions temporaires.

 

En 2017, j'y suis allé pour une expo sur René Goscinny, le célèbre scénariste de BD.

Passionné par le septième art dès son enfance, Goscinny s’est inspiré dans ses bandes dessinées des plus grands chefs-d’œuvre du cinéma, du péplum au western en passant par la comédie musicale.

Ludique et interactive, ponctuée de costumes et décors, l’exposition met en regard planches originales et extraits de films pour révéler l’importance du cinéma dans le travail de ce scénariste de génie.

Au cœur du parcours, la reconstitution des studios Idéfix, qu’il a créés, se rêvant en Walt Disney, dévoilera toutes les étapes de création d’un dessin animé.

40 ans après la mort de leur créateur, Astérix, Lucky Luke, les Dalton, Iznogoud et le Petit Nicolas sont devenus des personnages de cinéma à part entière.

Pari réussi pour « Walt Goscinny » !

Cette expo complétait parfaitement celle du MAHJ.

 

VAMPIRES, de DRACULA à BUFFY

 

En 2017, j'y suis allé pour une expo sur les vampires.

 

"Surgie des tréfonds du Moyen-Âge, la légende du vampire prend corps à la fin du XIXe siècle avec Dracula, l'illustre roman de Bram Stoker.

Le cinéma émerge au même moment, qui ne tarde pas à s'emparer du mythe naissant pour le nourrir et le décliner avec frénésie et irrévérence.

L'exposition Vampires raconte ces deux histoires parallèles, la fascination des cinéastes du monde entier pour cette icône ténébreuse et sexy.

Elle montre son pouvoir d'attraction qui a depuis longtemps débordé le strict cadre du cinéma, contaminant la peinture, la photographie, la littérature ou plus récemment la série télé.

Elle célèbre le gotha cinéma, Coppola, Christopher Lee, Lugosi, Deneuve, Herzog, Bigelow, Browning, Adjani, Bowie, Pattinson ou Tim Burton, qui depuis un siècle s'est frotté à Dracula.

Peuplée d'artistes hantés par son ombre noire (Warhol, Goya, Saint Phalle), riche de centaines d'extraits, elle révèle l'empreinte indélébile posée par le vampire sur cent ans de culture populaire, de Murnau à Twilight, de Dreyer à True Blood.

 

Vampires, de Dracula à Buffy

« Je suis Dracula » est une phrase culte de l'histoire du cinéma, prononcée avec un mystérieux accent slave, par des acteurs comme Béla Lugosi ou Gary Oldman.

Le comte Dracula, vénéré par le public d'hier et d'aujourd'hui, avec la même ferveur teintée de crainte, est une icône dark, incarnation de ce que l'humain a de plus pulsionnel dans son rapport au sexe, à la folie, et à la mort.

Mais Dracula n'est qu'un vampire cinématographique parmi tant d'autres, au même titre qu'Edward Cullen dans Twilight ou Lestat de Lioncourt dans Entretien avec un vampire.

Tous, ils hantent les écrans du monde entier, surgissant des ténèbres de nos civilisations, à chaque fois que celles-ci vacillent, que les idéologies se fissurent.

 

À l'origine du mythe

Héritier d'obscures superstitions ancestrales, entre autres grecques (les stryges) et mésopotamiennes (Lilith), le mythe du vampire s'enracine en Europe centrale, dans les ténèbres sanguinaires du Moyen-Âge.

La rumeur commence par se répandre dans les charniers de pays déchirés par les guerres et les épidémies : on dit du « vampyri », pour reprendre le vocable slave utilisé à l'époque, qu'il affectionne les cimetières où il déterre les cadavres, et tourmente les humains pour se nourrir de leur sang.

Les récits d'un non-mort incarné, aux attributs terrifiants, s'étayent au XVIIIe siècle au travers d'écrits scientifiques, avant de se cristalliser au XIXe siècle dans la littérature gothique anglaise : la légende du vampire trouve alors un point d'orgue avec l'ouvrage de l'Irlandais Bram Stoker, Dracula (1897).

Dans son livre, l'auteur, curieux d'occultisme et d'hypnose, invente un personnage complexe, redouté mais fascinant, aux attributs fantastiques : ainsi est-il capable de se transformer en animal (chauve-souris, loup) et d'émettre de la lumière avec les yeux.

Insaisissable, Dracula est un Anté-Christ immortel, apeuré par les signes religieux, dont l'extermination ne peut passer que par les brûlures du soleil ou par le pieu qui lui percera le cœur.

Autour de lui, Stoker crée également les personnages iconiques de Van Helsing, émérite chasseur de vampires, et de la belle Mina Harker, que le comte tente de posséder.

 

L'ombre sur l'écran

Le cinéma, né à l'aube du XXe siècle, n'a pas tardé à s'intéresser avec engouement à ce récit initiatique, par ailleurs critique détournée de la société victorienne.

L'expressionniste Nosferatu de Murnau, sorti en 1922 (adaptation à peine voilée du roman de Stoker) pose les bases d'une métaphysique qui donne à réfléchir le cinéma lui-même comme art vampirique : art de l'illusion et de l'embaumement ; art des corps qui ne vieillissent pas et des caméras qui ne se reflètent pas dans les miroirs.

Du coup, à l'approche diégétique du vampire, la mise en scène se retrouve altérée, comme si le cinéma, mordu dans sa chair, subissait des métamorphoses pathologiques, impactant directement sa forme.

Ainsi dans Martin de Romero et ...Et mourir de plaisir de Vadim, tournés en couleurs, le noir et blanc surgit au moment de la morsure.

Dans Nadja, tourné en 35 mm, le réalisateur Almereyda a utilisé pour les séquences de vampirisation une caméra amateur, dont la mauvaise définition crée une sensation de trouble spatial, voire de pixellisation.

Dans tous ces cas, l'expérience vampirique crée une distorsion profonde de la mise en scène : la première victime du vampire est le cinéma lui-même.

Depuis ses origines, le cinéma est donc indissociablement lié aux vampires.

Pas étonnant donc que les plus grands cinéastes aient ressenti la nécessité de mettre en scène leurs vampires.

Avec eux, ils expriment quelque chose de leur pratique artistique, dans un vertigineux jeu de miroir : Dreyer, Browning, Polanski, Herzog, Coppola, Carpenter, Burton, Bigelow, Jarmusch n'échappent pas à cette tentation de regarder la mort en face, avec parfois une dose d'humour irrévérencieuse (films d'horreur et parodie ne sont pas incompatibles).

Il en est de même pour les grands acteurs et actrices (car il existe aussi des femmes vampires, popularisées par l'ouvrage de Sheridan Le Fanu paru en 1872, Carmilla).

Parmi les plus emblématiques : Béla Lugosi dans les années 30 (qu'Andy Warhol magnifia avec sa sérigraphie The Kiss, puissante interrogation sur la part de vampirisation à l'œuvre dans le culte des idoles hollywoodiennes) ; Christopher Lee, Isabelle Adjani, Catherine Deneuve, David Bowie, Grace Jones au pic de la libération sexuelle des années 70/80 ; plus récemment, et contemporain du sida que le vampirisme souvent métaphorise, Tom Cruise, Tilda Swinton, Johnny Depp.

Ou encore, les jeunes Robert Pattinson et Kristen Stewart dans le très adulé Twilight, qui à l'orée des années 2000 renouvelle considérablement le genre des films de vampires, la coolitude et la tendresse en plus.

Et si, dans le fond, tout le monde voulait être un vampire ?

Dévoration et transgression

Le sex appeal irrésistible de ces êtres fantastiques ne se limite jamais à l'autosatisfaction.

Incapables de se suffire à eux-mêmes, ils sont dans une quête sans fin de l'Autre, qui les révélera à ce qu'ils sont.

Dracula n'est jamais du côté du narcissisme, mais du côté de la libido (de la pénétration, de la dévoration), dont il est l'incarnation absolue.

Le vampire est à nu, d'où peut-être le nombre incalculable de films érotiques qui lui sont associés, avec cette nudité particulière qui demeure profondément inquiétante : qu'il s'agisse de films tournés en Europe et aux États-Unis mais aussi au Mexique, au Nigeria, à Taïwan et au Japon.

Avec pour point commun une part de transgression (sexuelle donc, mais aussi souvent politique) dont le vampire est le signifiant.

 

Au cinéma et au-delà

L'exposition thématique montre, en plus des occurrences cinématographiques du vampire, ses apparitions dans d'autres champs artistiques.

Des œuvres maîtresses jalonnent le parcours, choisies dans un souci de mise en rapport directe avec le cinéma : les châteaux hantés du symboliste Redon, les visions cauchemardesques de Kubin, les femmes vampires de Leonor Fini, l'homo-érotisme de Bouguereau, les collages surréalistes d'Ernst, les dénonciations sombres et engagées de Goya et de Niki de Saint Phalle, les fêtes foraines de Fusco et de Mike Kelley, jusqu'aux boîtes-vampires aspirant le reflet de Charles Matton.

Sans oublier deux œuvres contemporaines au fort pouvoir de déstabilisation, créées spécialement pour l'exposition : Self-Portrait As a Vampire de Claire Tabouret et Fuck the Facts de Wes Lang.

In fine, cette exposition pluridisciplinaire posera la question du statut du vampire en ce début de XXIe siècle, au cinéma, ainsi que dans ses très nombreux avatars télévisuels (Buffy, True Blood, The Strain).

Qu'a-t-on encore envie de raconter aujourd'hui avec ces vampires ?

Pourquoi l'obsession ne s'est-elle jamais tarie ?

Ni mort, ni vivant mais fondamentalement marginal, le vampire se demande qui il est.

Et conduit subtilement réalisateurs et spectateurs à se poser exactement la même question.

Le vampire est devenu l'image même de celui qui cherche sa place dans le monde, incarnant même, dans la pureté de ses interrogations, une forme d'utopie.

Le cinéma s'écrit avec la lumière mais il se projette dans l'obscurité, qui reste pour toujours le royaume intemporel des vampires."

Matthieu Orléan, commissaire de l'exposition Vampires

 

TOP SECRET

 

L’exposition Top Secret explore les relations imbriquées entre espionnage et cinéma, rendant compte de l’étendue et de la vitalité d’un sujet qui se déploie autant dans une histoire que dans une géographie mondiale.

L’épicentre des intrigues d’espionnage ne cesse d’être déplacé et reconfiguré, des villes divisées d’Europe (La Lettre du Kremlin, John Huston, 1970) au Moyen-Orient (la série du Bureau des légendes, créée par Eric Rochant), mettant aujourd’hui en avant des stratégies renouvelées du renseignement, caractéristiques du monde sécuritaire post 11-Septembre, dont l’impact sur la mise en scène génère de nouveaux codes, de nouveaux visages.

Résistant aux stéréotypes, l’exposition Top Secret déconstruit la représentation sexiste des espionnes, longtemps reléguées à la seule pratique du « Piège à miel », et rétablit leur apport stratégique considérable, ce à quoi le cinéma a su précocement rendre justice.

De Protéa, férue de Jiu-Jitsu et première espionne de l’histoire du cinéma (1913), à Mata Hari, fusillée pour intelligence avec l’ennemi allemand (interprétée dès 1931 par Greta Garbo, plus tard immortalisée dans ce rôle par Andy Warhol), le cinéma s’est intéressé, dès ses origines, aux figures de femmes agents secrets : Marthe Richard ou Mademoiselle Docteur sont des héroïnes dont les aventures sur grand écran reposent sur des faits réels, tandis qu’Alicia Huberman (interprétée par Ingrid Bergman) dans Les Enchaînés (1946) incarne, devant la caméra d’Alfred Hitchcock (le maître incontesté en dix films majeurs du cinéma d’espionnage), un fantasme fictionnel de femme infiltrée et courageuse.

Par ailleurs, de nombreuses stars ont véritablement profité de leur notoriété pour s’engager par patriotisme au sein des services de renseignement : Marlene Dietrich, l’Agent X27 de Josef von Sternberg (1931), a espionné quelques dignitaires nazis pour le compte de l’Office of Strategic Services (OSS) américain.

Les risques pris par ces actrices (comme Hedy Lamarr, à l’origine du futur GPS, et dont l’artiste Nina Childress a exploré en sculpture les multiples facettes) permettent de réévaluer l’importance des femmes dans l’art du renseignement et témoignent, par comparaison, de la manière dont certains ont longtemps déformé cet engagement, en privilégiant l’hypersexualisation du sexpionnage.

 

UNDERCOVER

 

L’espionnage n’est donc pas plus réductible à un genre, qu’il ne l’est à un médium artistique : cherchant toujours à se réinventer, il passe de la littérature au cinéma (de nombreux films montrés dans l’exposition sont des adaptations de livres de Ian Fleming, Graham Greene ou Tom Clancy), et du design à l’art contemporain.

L’exposition orchestre ainsi des propositions visuelles, ludiques ou parfois volontairement dérangeantes, du Canadien Rodney Graham, de l’Ukrainien Boris Mikhaïlov, du Français Julien Prévieux, du Serbe Nemanja Nikolič, du Libanais Walid Raad (The Atlas Group), ou de l’Américaine Heather Dewey-Hagborg, qui interrogent par leurs œuvres d’art la cryptologie, le simulacre, voire le lavage de cerveau.

Autant de thèmes mystérieux et fascinants qui font de l’espion le personnage romanesque par excellence, réceptacle des fantasmes des cinéastes.

Capable de glisser d’une identité à l’autre, l’espion ne cesse de se dissimuler et de se grimer tel un acteur, aux talents hors normes.

Tantôt invincible, tantôt torturé, il hante autant le cinéma d’auteur (Conversation secrète, Francis F. Coppola, Palme d’or en 1974) que le cinéma de série B (Un espion de trop, Don Siegel, 1977) ; les comédies humoristiques (Modesty Blaise, Joseph Losey, 1966) que les thrillers engagés (Espions sur la Tamise, Fritz Lang, 1944). Son aura populaire culmine dans les années 1960, quand les tensions de la Guerre froide (cette guerre mondiale secrète) sont au plus haut.

À l’opposition diplomatique entre les deux blocs, le cinéma d’espionnage occidental répond par une propagande qui n’hésite pas à vanter la liberté individuelle et l’opulence des biens de consommation.

Ex-espion au sein du MI6 britannique, devenu célèbre écrivain, John le Carré n’hésite cependant pas à démontrer que ce manichéisme sommaire traduit en profondeur l’interdépendance entre espion et espionné, entre Ouest et Est, rejouant ici la dialectique du maître et de l’esclave.

Situant ses intrigues des deux côtés du Mur, l’écrivain s’est toujours documenté avec précision sur les Sûretés d’État communistes, avant de les réinventer dans la fiction.

Ainsi imagina-t-il dans La Taupe (publié en 1974 et adapté au cinéma par Tomas Alfredson en 2011) l’agent soviétique Karla, sur le modèle de l’implacable Markus Wolf, directeur des renseignements extérieurs de la Stasi.

L’une des particularités de la Guerre froide est ce dialogue incessant, par fictions interposées, entre Est et Ouest qui en venaient à s’instruire, grâce aux films, sur l’état d’esprit et les avancées technologiques du camp ennemi.

 

SUR ÉCOUTE

 

Top Secret accompagne donc aussi la très sérieuse marche de l’Histoire, et expose le rôle du cinéma comme instrument de propagande ou de formation des espions.

Parce que l’enregistrement du réel se révèle un art nécessaire à l’agent secret, les techniques de captation cinématographiques se retrouvent au cœur des pratiques d’espionnage.

Cinéma et espionnage partagent donc l’art – et la technique – de produire des sons et des images, agencés ensuite pour former un récit.

Le cœur de ce territoire commun consiste donc en de nombreux appareils performants qui servent à l’accomplissement de leurs tâches : caméras, Nagra, micros aident à la filature des uns et au tournage des autres.

L’exposition en montrera de rares originaux, certains datant même du XIXe siècle.

Mais en ce début de XXIe siècle, chacun peut, avec un simple téléphone portable, collecter ou pirater des informations sensibles, tout en déjouant les systèmes de surveillance de l’État.

Pas besoin d’être un super-héros cascadeur à la Mission impossible (série et films, 1966-2017) pour y parvenir.

Un cinéma engagé, plus minoritaire, témoigne de ces nouvelles pratiques, érigeant en chef de file fictionnel le geek Jason Bourne, interprété par Matt Damon dans les cinq films de la saga inaugurée par La Mémoire dans la peau en 2002.

Ex-agent de la CIA devenu renégat, il est l’incarnation du justicier solitaire contemporain qui défie les nouveaux maîtres du monde lors de scènes d’action filmées caméra à l’épaule.

Dans la réalité, ces modèles sont à chercher du côté des citoyens-espions Edward Snowden ou Chelsea Manning, qui font le choix de partager en temps réel devant une caméra des informations classées top-secrètes (Citizenfour, réalisé par la militante Laura Poitras, Oscar du meilleur documentaire, 2014).

Aujourd’hui, ces pratiques d’enquête sont également revendiquées par des artistes engagés : c’est le cas de Trevor Paglen dont les photographies télescopiques mettent en lumière les activités illicites de surveillance perpétrées par les USA.

Avec ce nouveau millénaire, alors que certains pensaient l’espionnage relégué à des parodies hilarantes à la OSS, l’opposition entre les nouvelles forces en puissance démontrent combien l’art du renseignement est plus que jamais d’actualité, soulevant des questions éthiques et politiques, tout en produisant des formes artistiques et critiques inédites.

 

 

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